Grand corps malades - Nos Absents
Ce superbe texte a été lu au crématorium de Noyal-Pontivy le samedi 25 novembre 2017 lors de la cérémonie du souvenir.
C'est pas vraiment des fantômes, mais leur absence est
tellement forte,
qu'elle crée en nous une présence qui nous rend faible,
nous supporte.
C'est ceux qu'on a aimés qui créaient un vide presque
tangible, car l'amour qu'on leur donnait est orphelin, il
cherche une cible.
Pour certains on le savait, on s'était préparé au pire,
mais d'autres ont disparu d'un seul coup, sans prévenir.
On leur a pas dit au revoir, ils sont partis sans notre
accord, car la mort a ses raisons que notre raison ignore.
Alors on s'est regroupé d'un réconfort utopiste. A
plusieurs on est plus fort mais on n'est pas moins triste.
C'est seul qu'on fait son deuil, car on est seul quand on
ressent. On apprivoise la douleur et la présence de nos
absents. Nos absents sont toujours là, à l'esprit et dans
nos souvenirs. Sur ce film de vacances, sur ces photos
pleines de sourires.
Nos absents nous entourent et resteront à nos côtés, ils
reprennent vie dans nos rêves, comme si de rien n'était.
On se rassure face à la souffrance qui nous serre le cou,
en se disant que là où ils sont, ils ont sûrement moins
mal que nous.
Alors on marche, on rit, on chante, mais leur ombre demeure,
dans un coin de nos cerveaux, dans un coin de notre bonheur.
Nous on a des projets, on dessine nos lendemains. On décide
du chemin, on regarde l'avenir entre nos mains. Et au cœur
de l'action, dans nos victoires ou nos enfers, on imagine de
temps en temps que nos absents nous voient faire.
Chaque vie est un miracle, mais le final est énervant. J'me
suis bien renseigné, on en sortira pas vivant. Faut
apprendre à l'accepter pour essayer de vieillir heureux,
mais chaque année nos absents sont un petit peu plus nombreux.
Chaque nouvelle disparition transforme nos cœurs en
dentelle, mais le temps passe et les douleurs vives
deviennent pastelles. Ce temps qui pour une fois est un
véritable allié. Chaque heure passée est une pommade, il
en faudra des milliers.
Moi les morts, les disparus, je n'en parle pas beaucoup.
Alors j'écris sur eux, je titille les sujets tabouts. Ce
grand mystère qui nous attend, notre ultime point commun à
tous. Qui fait qu'on court après la vie, sachant que la
mort est à nos trousses.
C'est pas vraiment des fantômes, mais leur absence est
tellement forte, qu'elle crée en nous une présence qui
nous rend faible, nous supporte. C'est ceux qu'on a aimés
qui créent un vide presque infini, qu'inspirent des textes
premier degré. Faut dire que la mort manque d'ironie.