Le cidre

Les pommes : de la ramâsserie…à la pilerie…au cidre…et à la goutte.

(extrait de « Châtaigneraie d'aüt'faïs » par Maminou Annick)

 

Aüt'faïs en Berteïgne, le cide (cidre) était la boisson courante quotidienne, les plantations de pommiërs dans les champs et les prës étaient nombreuses et les vaches prenaient même plési à s'gretter sur leurs pieds et ol' rafollint des pommes au risque de s'engôyër (avaler de travers). On accordait une grande importance aux pommiërs à tel point que même les gendarmes y portaient attention et dressaient un procès aux gens qui laissaient pousser du dji (gui) dedans. Les bourgeons des pommiërs éclataient d'avril à mai en de belles trotchettées (bouquets) de fleurs blanches et roses très parfumées qui, une fois leurs pétales envolés au vent, donnaient naissance à une tout petite pomme verte qui allait progressivement grossir tout l'été.

 

La ramâsserie

 

Après les ramâsseries de patates en septembre, et avant l'arrachage des lisettes (betteraves) et des choux navets début novembre, venait le temps de ramasser les pommes courant octobre. Déjà depuis la mi-septembre les gueurnettes et les faillies (petites, véreuses, pourries) tint chaïtes constituant ce qu'on appelait les peurmiëres ramassaüres.

 

Par une belle vrêprée (après-midi) d'octobre, teurtous s'y mettint, parints et éfants. Dans un peurmiër timps not'père monteut dins les pommiërs et, bras et mains aggripës aux branches, les aïjeut (secouait) fortement faisant décrochër les pommes qui cheyint (tombaient) bruyamment par traupées. I fayeut s'garër de d'ssous le pommiër si on n'vouleut pas éte bombardë et attrapër des bosses sur la téte. Dins un second timps, i gauleut ô une longue et flexible perche en bouès (la gaüle) les derniëres pommes résistantes accrochées aux branches. I n'teut pas tchetion d'en perdre autcheune (aucune). Alours la ramâsserie poueut commincër. A genueux (genoux) dins l'herbe ou à croupeton (accroupi) sur la terre on ramasseut des deux mains les pommes qu'on viseut (lançait) dans des seuilles (seaux) ou directemint dins des grands mann'tchins (paniers). Quand la pié teut chaïte (pluie était tombée) ou quand ça berouineut (bruinait) les pommes tint couellouses (mouillées et boueuses). Outre le mal de dos, le ramassage teut parfaïs douloureux quand i fayeut allër cheurchër les pommes en fouissant (fouillant) dins les orties ou ben dins les ronces le long des bussons (talus). Les mann'tchinées ou les sacquées pieunes, empilées sur la beurouette, tint beurouettées par not'père jusqu'au jardin. Un empiacement, entourë de pianches, avec um'p'tit de paille au fond, aveut étë préparë pour recevaïr le tas de pommes, à proximité de l'intrée de la cave.

Obtenir un bon cide depindeut d'une bonne futâille et d'un bon pommât (pommage) composë de différentes variétés de pommes plus ou moins djeukes (acides), amëres ou douces : des « doux feuillu », des « douce-amère », des « Jean-marie », des « Bedange », des « Fonteune » ou « Durée », des « Damelot », des « Doux-oignon » etc…

 

Le tas de pommes reposeut au jardin pendant environ deux moès. Par timps de glace ou de neuge, les merles et les grives qu'avint du ma à déterrër les buques (vers de terre) dins le sol gueurrouë (gelé), venint pigôssër les pommes pour se nourri et s'faisint tchoqu'faïs prinde dins des piëges.

 

La pilerie

 

Fin décembre les pileries commencint, les voeïsins s'entraïdant à tour de rôle de maison en maison. La pilerie rev'neut plusieur faïs selon la quantité de pommes et le nombre de mottes à faire. Elle se dérouleut le sëur (soir) à la veuillée dins la cave étieurée par des lampes tempête et des lampions, pis pus tard par des balladeuses électriques. Des hommes et femmes chargint à coup de pali (pelle) les pommes dins des mann'tchins et allint les déveursër à l'intérieur de la cave dins la teurmée(trémie) du moulin à pommes. Les hommes de relayint deux par deux de chaque côtë pour élancër et tounër les grandes reues (roues) actionnant le moulin. Les pommes écrâsées cheyint dins un coffre sous le moulin puis tint balancées à coup de pali sur le pressouë (pressoir) oùce que le patron de la maison édifieut méticuleusement la motte en carré, alternant des couches d'écrasaüres et des couches de  paille recouvertes pour finir par des piances et des poulains (madriers) que le moutonnet (gros morceau de poutre en bois) viendreut pressër. Le socle en boès soutenant le pressouë s'app'leut la beurbis. Au-desus de la motte, le mécanisme de pressabe (la courône) composé de rouages crantés marcheut par une succession de cliquets actionnés par un levier (la gabare) poussé manuellement en un mouvement de va et vient, faisant descendre le moutonnet le lond d'une vis (le vir) piantée au centre du pressouë.

 moulin à pommes

 

pressoir

 

La pilerie terminée, tout le monde s'en reveneut dans la maison baïre une bolée de cide. Les hommes entamint une  partie de belote, cognant parfaïs du poing sur la table « belote et re ! » ou jetant lous cartes sur le mitant, valets reines rouès tous égaillës ensemble ! Les femmes regroupées autour du foyër tricotint ou rabillint (racommodaient) chaussettes et gilets en jargouaïzant (bavardant gaiement). Les gosses jouint aux quatre coins de la piace (pièce) ; on lou demandeut de s'teure quant i huchint trop haout. La souèrée s'termineut par un cafë-goutte, ou par un grog ou par un flip (cidre chaoud+goutte).

 

Le lendemain et les jours suivants, notre père actionnait à plusieurs reprises le mécanisme pressant progressivement la motte d'où s'écoulait un jus orange foncé dans les rigoles de la tabe du pressouë puis dans un tchuvet (cuve en bois). Par seuillée (seau en fer blanc) le jus de pommes teut alours transvasë du tchuvet dans un fût à través un entonnoueu (ovale percée au centre par un bout de tuyau métallique) enfoncé dans la bonde sur le dos du fût. Mon frère et moi suivions les opérations avec tchuriosité, goûtant au jus en l'aspirant à travès un brin de paille. Notre mère nous mettait en garde de ne pas en abuser au risque d'attraper « la courante ». Quand il n'y avait plus rien à tirer de la motte, celle-ci était démontée, coupée en morciaüx avec le grand coutiaü à pressouë et entreposée dans un coin derrière la maison. Elle ferait du fumiër (certains en donnaient à manger aux vaches). Il y avait plusieurs sortes de futâilles : le fût d'une contenance de 500 litres, la barrique de 250 l, la demi-barrique de 125 l, le baraou de 50 l, le demi-baraou de 25 l qui serveut pour la goutte. Les plus vieilles futâilles tint cerclées d'un lian de bouès, les plus récentes d'un lian de tôle. Avant la pilerie, les futâilles avint étë sorties pour être lessivées minutieusement avec un leïssi (mélange d'iaü chaoude et de cendre) puis rincées plusieurs faïs à l'iaü freude en les faisant roulër à bras dans un mouvement de va et vient. Ol'avint étë ensuëte re-rintrées dins la cave, alignées et calées sur des tins (morceaux de madrier) pour les isolër de la terre battue.

 

 

                                                      "Cuvet à cidre"

 

 

 

                                                 "barriques à cidre"

 

Le cide

 

              

 

 

                             

 

             

 

                                        (photos Nath - Novembre 2007)

 

 

Le cide teut laissë fermintër et bouëde (bouillir), moussant par la bonde ouverte, pendant environ un moès. Quand i n'débordeut pu on le ravouilleut (rallongeait d'un peu d'iaü) pour qu'i continue core um'p'tit son débordement de décrassage… Puis chouaïsissant un jou par timps tieur (clair) en lune en d'coût (décroissante), on le soutireut en inlevant le liëge du trou de la tië (clé) et on extrayeut la lie, mélange troube de pommât. La lie teut gardée dins une barrique destinée à faire la goutte. La bonde du fût teut alours feurmée tchoques jous après et on laisseut le cide dormi trantchille. On attindeut avec impatience plusieurs semeunes plus tard pour goûtër au cide doux en le tirant dins un picheu par le foncet (petit liège obstruant un trou en haut au bout du fût). On diseut « on va foncettër ! ». Puis le cide de l'année d'avant étant épuisé ou devenu trop dur à baïre, on metteut un fût de cide nouviaü en peurce (installer la clé permettant de tirer le cidre)

 

Astour il est encore fabriqué du cidre-maison mais rares sont les gens qui le font encore au pressouë. On recourt à un entrepreneur agricole qui vient avec une presse mécanique actionnée par un tracteur. Le cide n'est plus conservé entièrement en fût mais mis en bouteilles. Il est appelé « cidre bouché » et va devenir par une seconde fermentation aussi pétillant que du champagne. Ces dernières années il a même pris place dans la composition des kirs avec pour nom « kir breton » (cidre+liqueur de cassis).

 

 

                                    

 

presse à cidre

 

Suite à venir : la goutte

 

Voir aussi recettes au cidre à la rubrique cuisine morbihannaise

 

                                                          (Maminou Annick – novembre 2007)

 

 

 

Un peu de poésie :

 

Le pressoir ambulant

 

Cela ne date pas d'hier,

Quand on faisait du cidre avec « Bergère »

« Bergère », c'était la bonne jument

Qui tirait le pressoir ambulant !

Par la presse à barre débutant,

Pousser trois pas en avant,

En faire autant à reculons.

Comme sport, c'était distrayant,

Puis nous modernisant lentement,

Nous montâmes une pompe « Simon »,

Mais le gel nous embêtant un brin,

Ce fut une pompe à huile appelée « Verain ».

Tôt le matin nous partions,

Et tard le soir nous travaillions,

Allant de fermes en maisons,

Pour produire la précieuse boisson.

C'était un cidre bien clairet,

Sorti des pommes qu'on pressait.

Parfois le mare l'on retrempait,

Repressé, du « demi jus » l'on avait.

Les fruits que finement l'on broyait,

En bouillie dans la presse tombaient.

Par petites couches de la paille on mettait,

Ainsi drainé, le bon cidre coulait.

En pleine saison, les clients pressants,

Nuits et jours nous travaillions,

Sauf si le gel était trop violent,

Fallait profiter des heures de beau temps.

Du cidre, on n'en fait presque plus,

Les pressoirs ambulants ont disparu.

Restent quelques cas bien isolés,

Encore un métier bien périmé !

 

(Robert Jasmin – fév 1995)

 

 

 

 

Les   pommiers   bretons

 

Je n'ai jamais chanté, Bretagne, tes grands chênes,

Tes peupliers si fiers, ni tes gros châtaigniers :

Ma pauvre lyre a peur des géants de tes plaines

Et garde sa chanson pour tes humbles pommiers.

 

Rabougris et noueux comme de petits gnômes,

Mais sûrs de  leur noblesse et fiers de leurs aïeux,

Ils semblent les seigneurs des antiques royaumes

Des Korrigans bossus, des Kernandons cagneux.

 

Vrais bretons au cœur large, et trapus des épaules,

Ils bravent pluie et grêle et le grand vent d'hiver,

En avril tout ainsi que les Druides des Gaules,

Sous leur couronne blanche ils ont vraiment grand air.

 

Parfois le gel survient et la récolte est maigre,

Et le cidre est bien dur dans les vieux pots de grès !

Bah ! les gosiers bretons se moquent du cidre aigre :

Vidons les pichets, d'abord … nous gémirons après !

 

Ecoutons la chanson du bon cidre qui mousse !

Ecoutons la chanson du bon cidre doré !

C'est la chanson du pâtre et la chanson du mousse,

Le chant de la grand'lande et du grand flot sacré !

 

(Théodore Botrel

Contes du lit clos)

 

 

Expression : « ça ne vaut pas un coup de cidre »

 

Autrefois le cidre était une boisson peu onéreuse, utilisée dans la vie de tous les jours.

C'est la raison pour laquelle en Bretagne l'expression populaire « ça ne vaut pas un coup de cidre » est très répandue et signifie que cela n'a aucune valeur.

 

 

"A consommer avec modération"

 



09/11/2007
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